La vache aubrac, d’une nature si généreuse !

Elle caracole aujourd’hui en tête des viandes bovines françaises, plus exotique que la charolaise, plus chic que la limousine. Elle fait s’interroger les grands gourmets sur l’intérêt réel de la black angus ou de la wagyu de Kobé. Les restaurateurs veulent tous de l’aubrac, dont ils surlignent l’origine sur leurs cartes et menus. L’aubrac est une merveille de viande, persillée, goûteuse et tendre, pour peu qu’on la laisse maturer le temps nécessaire. Jusqu’à plus de 30 jours. Sa qualité exceptionnelle l’autorise sans problème.

Et pourtant, la race aubrac a bien failli disparaître ! Ce génie des estives, développé par les moines de la domerie d’Aubrac au cours des siècles, qui a donné sans compter son lait, sa viande et sa force tranquille, aurait pu ne pas survivre à la mécanisation de la seconde moitié du XXe siècle puis à la pratique systématique des croisements avec des taureaux charolais. De plus de 320 000 bêtes au début du XXe siècle, le troupeau des aubrac n’était plus que de 50 000 têtes à la fin des années 60.

Mais c’était compter sans l’obstination de quelques amoureux inconditionnels de cette race rustique, facile à élever, mère exemplaire et résistante aux hivers de l’Aubrac, qui ont tout mis en œuvre pour sauver la belle à la robe froment, aux longues cornes pointées de noirs et aux yeux cerclés. Reprenant la base du livre généalogique ouvert en 1893, ils ont d’abord créé l’association d’éleveurs Union Aubrac en 1979, ont imaginé des programmes de sélection, de relance de la race et de développement du cheptel, ont investi dans des outils de sélection… Résultat : on compte aujourd’hui plus de 253 000 vaches aubrac en France (63 000 dans le seul département de l’Aveyron). L’aubrac a conquis tant de cœurs qu’on la trouve partout en France et dans différents pays : Allemagne, Suisse, Irlande, Espagne, Italie, Roumanie, Lituanie, Guyane, Sibérie… L’immense chef d’orchestre britannique John Eliott Gardiner en est raide dingue, qui en élève plus d’une centaine dans sa ferme biologique de Springhead dans le Dorset. Les troupeaux les plus importants, bien sûr, se trouvent encore dans les trois départements qu’unit le plateau de l’Aubrac : l’Aveyron, le Cantal et la Lozère.

Sa simplicité, sa rusticité, sa plastique et la sympathie qu’elle dégage naturellement contribuent à son succès. La qualité et la saveur de sa viande aussi.

Tant et si bien que d’autres éleveurs et bouchers de l’Aubrac ont craint un moment que la race ne soit de nouveau en danger, emportée dans le maëlstrom de la mode et du marketing qui conduisent à tous les excès. Ils ont donc décidé de mettre sur pied une filière qualité qui garantirait aux consommateurs une viande d’aubrac bien élevée et aux producteurs une rémunération juste. Parmi ces pionniers : un éleveur, Noël Entraygues, et un boucher, Lucien Conquet. Avec quelques autres, ils ont créé l’association Bœuf Fermier Aubrac, couché sur un cahier des charges rigoureux les pratiques d’élevage les plus vertueuses et les modes de commercialisation les plus éthiques. C’est ainsi qu’ils ont obtenu la création du Label Rouge Bœuf Fermier Aubrac (BFA pour les intimes) en 1999. C’est l’un des deux seuls Labels rouges attribués en France à des productions fermières. La viande de Bœuf Fermier Aubrac est produite par des bovins (génisses, vaches, bœufs) exclusivement de race à viande aubrac. Le terme fermier signifie que les animaux sont nés, élevés et engraissés sur une exploitation qualifiée et que 70% de leur alimentation est produite sur l’exploitation. L’engraissement se fait chez l’éleveur et non dans un atelier d’engraissement intensif. La plus-value revient donc directement à l’éleveur. Détail important : les élevages sont situés à plus de 800 m d’altitude ou doivent pratiquer la transhumance à 800 m d’altitude pendant 4 mois minimum. L’animal ne peut être commercialisé qu’après une période d’engraissement longue, de 4 mois minimum à 10 ans maximum, avec des aliments complémentaires à base de céréales, référencés et contrôlés. Maïs, aliments fermentés (ensilage) et OGM en sont exclus. Qui ne respecte pas ces règles ne peut se targuer du Label rouge BFA. Cette production est en tout point exceptionnelle puisque les quelque 500 éleveurs engagés dans la filière vendent chaque année sous ce label environ 2500 bêtes. Probablement guère plus de 2 000 en 2023. C’est plutôt modeste. Ce qui conduit Patrick Mouliade, l’actuel président de l’association BFA, à reprendre l’antienne : « Mangez moins de viande, mais mangez-en de la meilleure. » De l’aubrac, bien sûr !